Éric Champagne: donner vie à Marguerite Yourcenar en musique

Actualités lyriques

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25 juillet 2022

Texte : Véronique Gauthier
Photos : Tam Photography

Fervent amateur de littérature, Éric Champagne est déjà quelque peu familier avec l’univers de Marguerite Yourcenar au moment où Hélène Dorion l’approche, en 2020, pour composer la musique de l’opéra Yourcenar: une île de passions qu’elle coécrit avec Marie-Claire Blais. Après avoir pris connaissance d’une première version du livret, le compositeur plonge dans l’aventure et accepte de mettre en musique la vie de cette femme d’exception. Le résultat? Il vous sera dévoilé sur les planches, cet été, à Québec et Montréal.

Rencontre avec un érudit passionné, humble et profondément humain!

Les particularités de composer pour la voix

Bien qu’il n’en soit pas à ses premières armes dans le milieu lyrique, Yourcenar: une île de passions constitue une pierre angulaire dans le parcours du créateur. « C’est la première fois que je travaille sur un opéra aussi long, à partir d’un livret original qui se construit au fur et à mesure. »

Qu’est-ce qui distingue son écriture pour la voix de son écriture orchestrale? « C’est une façon de penser la musique qui est complètement différente », affirme le musicien. « Quand je compose pour la voix, je recherche certaines couleurs vocales et le rythme des mots influence le rythme de la musique », explique Éric Champagne. « J’aime amener un texte à un autre niveau et le moduler à travers ma musique. »

Pour cet opéra, le compositeur attend que le livret soit pratiquement terminé avant de s’asseoir à sa table de travail, tout en participant activement au processus créatif précédent la composition. « Je voulais être en mesure de bien comprendre la structure de l'œuvre et trouver le bon équilibre d’une scène à l’autre », explique-t-il. Dans ce cas-ci, la dynamique et la temporalité du discours influencent beaucoup sa façon de concevoir la musique. « Le deuxième acte appelle une plus grande linéarité, alors que le premier, constitué de flashbacks, est un peu plus morcelé. »

Un travail collaboratif d’abord et avant tout

Lorsque le compositeur se joint au projet, les deux librettistes travaillent déjà depuis plusieurs mois ensemble, et rapidement, Angela Konrad se joint au noyau créatif à titre de metteure en scène. « Après avoir vu quelques-unes de ses pièces, il était clair pour moi qu’elle avait une très grande sensibilité au fait musical dans le théâtre », avance-t-il. « Qu’elle en vienne à travailler à l’opéra, je pense que c’était naturel. »

La collaboration avec les Violons du Roy, l’Opéra de Québec et l’Opéra de Montréal se confirme par la suite. Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal, participe alors à des sessions d’écriture visant à retravailler le texte. « Il a vraiment restructuré l’œuvre en ancrant le point central de l’opéra. » Éric Champagne lui-même, bien qu’il ne se mouille pas à l’écriture — « j’ai trop d’admiration pour ce métier-là! » —, relève de son côté le potentiel opératique de certaines scènes qui sont retravaillées en ce sens.

Les hauts et les bas d’un processus créatif

Le plus grand défi rencontré par le compositeur au cours de cette expérience? La contrainte de temps, qui l’oblige à écrire sa musique en version piano-voix avant de développer sa version orchestrale. « C’était nécessaire pour que le travail puisse avancer en amont, mais c’est contraire à ma façon de concevoir la musique, qui est orchestrale. J’avais l’impression d’écrire une version piano édulcorée, sans les couleurs que j’avais en tête. Ça m’a bloqué par moment », raconte Éric Champagne.

Mais cette contrainte s’avère nécessaire pour mener à bien les ateliers de création avec les chanteurs, ateliers qui lui offrent la possibilité d’entendre sa musique et de la faire évoluer. « Autant c’était difficile, autant ça m’a permis d’aller au fond des choses. On a pu travailler les voix, j’ai ajusté des détails de prosodie, j’ai réécrit certains passages. Je n’ai pas souvent la chance d’expérimenter autant, et je l’ai vraiment apprécié. »

Une familiarité dans l’approche artistique

Plus le processus de création de l’opéra avance, plus le compositeur perçoit une parenté entre son univers créatif et celui de l’écrivaine qu’il porte en musique. « Nous avons tous les deux un pied ancré dans la tradition et l’autre dans la modernité. Dans ma musique, je ne cherche pas l’avant-garde absolue; je cherche, à travers un héritage que je fais mien, à avoir un discours personnel sur ma réalité d’aujourd’hui. Et on retrouve la même chose chez Yourcenar. »

Éric Champagne se reconnaît également dans les défis rencontrés par l’autrice au cours de sa vie. « Yourcenar est en quelque sorte une amoureuse de l’amour, et sa difficulté à concilier sa passion amoureuse avec sa passion créatrice me touche beaucoup parce que je m’y reconnais. »

Se laisser porter par le courant

Qu’est-ce qui attend le public lors des représentations? « Ce ne sera pas Aida! », s’exclame Éric Champagne. « Le spectacle ne sera pas visuellement flamboyant, l’œuvre n’est pas conçue pour ça. On est plus dans le drame psychologique. En tant que spectateur, il faut se laisser emporter par le flow de la musique et de l’histoire pour vraiment vivre ce que les personnages ont dans le ventre. C’est un spectacle d’intimité, où on se laisse guider par un voyage intérieur. »

Dans cet univers épuré et poétique, le destin d’une légende de la littérature confrontée à ses dualités, engagée dans ses convictions et rompant avec les conventions de l’époque, aura tout l’espace pour se déployer et, au final, nous toucher.

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