Chantal Lambert : une riche carrière à l’Atelier lyrique

Actualités lyriques

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08 décembre 2022

Texte : Véronique Gauthier
Photo : Marianne Charland

Par un doux après-midi de septembre, Chantal Lambert, directrice de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, nous ouvre la porte de sa maison à la campagne située dans un décor enchanteur, à proximité d’un lac. La demeure est à l’image de sa propriétaire : chaleureuse, apaisante, accueillante. Dans son antre, la chanteuse et gestionnaire revient avec nous sur son riche parcours qui l’a menée à la direction de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. 

Après plus de 30 ans à la tête du programme, celle qui a accompagné plus d’une centaine de jeunes artistes avec cœur et sensibilité s’apprête maintenant à tirer sa révérence. Son legs et son empreinte entre les murs de l’Opéra de Montréal y demeurent tangibles et indélébiles.  

Prédestinée à la musique 

Loin de se douter de l’influence qu’elle aura un jour dans le monde lyrique montréalais (et au-delà), Chantal développe très jeune sa fibre pédagogique et artistique auprès de ses parents instituteurs, fervents amateurs de musique et de théâtre. À la maison, la musique résonne du matin au soir, la voix de sa mère s’élève avec enthousiasme et les quatre enfants de la fratrie partagent leur temps entre les cours de musique, de danse et de théâtre. 

« Ma mère m’avait investie d’un programme dès l’utérus. Elle s’était dit “moi, ma première fille s’appellera Chantal et elle chantera.” Mon sort était scellé. Dieu merci, j’ai aimé ça! », raconte la soprano en souriant.  

De l’enseignement à l’art lyrique 

Au cours de sa jeunesse à LaSalle, la jeune fille forme un groupe de musique avec son frère et des amis, puis se joint à une chorale, l’Ensemble vocal Arts-Québec. Sans but de carrière précis, son cœur balance entre le théâtre et la musique et elle s’imagine très bien devenir professeure tout en continuant à chanter du Joni Mitchell. Elle commence donc des études en pédagogie à l’UQÀM avant d’entrer au Conservatoire de musique de Montréal, incitée à tenter sa chance par son grand ami, le compositeur Silvio Palmieri.  

« Bien honnêtement, quand je suis entrée au Conservatoire, je n’avais pas de grandes aspirations de carrière. Je chantais surtout de la musique populaire et de la polyphonie vocale, et je voulais développer une bonne maîtrise de mon instrument. Je n’avais pas du tout l’ambition de devenir une artiste de la scène lyrique! Je suivais des cours de chant classique depuis quelques mois seulement. »  

Au Conservatoire, elle reçoit avec bonheur l’enseignement d’artistes et pédagogues formidables tels que le ténor André Turp, la pianiste chef de chant Janine Lachance et le metteur en scène et coach de jeu scénique Roland Laroche. Elle se découvre alors une grande passion pour l’opéra. « J’en mangeais! » se souvient-elle. « J’étais très studieuse et j’ai adoré mes études. » Puis, au fil des années — elle y restera huit ans —, elle se retrouve avec de beaux solos à chanter avec chœur et orchestre. 

Le choc de l’entrée à l’Atelier lyrique 

Tout de suite après ses études, en 1987, Chantal est acceptée à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal qui en est alors à sa 4e année d’existence. Son arrivée ne se fait pas sans heurts. « J’étais très réservée, je n’ai jamais eu l’ego et l’assurance d’une jeune artiste ambitieuse et je me suis retrouvée avec des chanteurs qui avaient des personnalités très fortes. Ça a demandé un gros ajustement de mon côté. » 

Elle fait au cours de cette période ses débuts avec les Nouvelles Variétés Lyriques dans le rôle de Métella de l’opérette La Vie parisienne. Un véritable baptême de feu pour la jeune artiste! L’opérette deviendra dès lors son répertoire de prédilection, lui permettant d’allier ses deux passions scéniques, le théâtre et la musique.  

Déjà maman d’un petit garçon de 14 mois, la chanteuse apprend également à gérer la conciliation carrière-famille et réalise bien vite qu’une carrière internationale ne répond pas à ses besoins. « Je suis partie faire un concours à l’étranger et j’ai été malheureuse comme les pierres parce que mon fils vivait quelque chose d’important et que je n’étais pas à ses côtés. Quand je suis revenue, je me suis dit que je voulais chanter, mais pas en embrassant ce type de carrière. »  

De l’autre côté du miroir 

C’est là que l’Atelier lui offre une chance inouïe : un poste de coordination — qui se transforme rapidement en poste de direction — lui permettant non seulement de gagner sa vie en demeurant à Montréal, mais aussi de continuer à chanter des rôles à l’opéra tout en accompagnant de jeunes chanteurs à l’aube de leur carrière. « Je me suis découvert un réel plaisir à être organisatrice, et je n’ai jamais quitté. »  

À la suite de son expérience personnelle, Chantal ne fait aucun compromis sur une chose bien précise pendant ses nombreuses années à la tête de l’Atelier : la bienveillance. « Ayant senti moi-même que le tapis me glissait sous les pieds à mon arrivée, je savais qu’apporter une belle humanité au programme était essentiel. J’aime croire que si j’ai laissé une empreinte à l’Atelier, c’est celle-là. » 

30 ans de grande évolution 

À son arrivée en poste et tout au long des années 90, la nouvelle gestionnaire a la chance de multiplier les rôles à l’opéra tout en poursuivant son travail à l’Atelier lyrique. Au tournant des années 2000, son rôle de direction prend une place plus importante.  

« C’est à cette époque, au moment où Bernard Labadie est arrivé à la direction artistique, que les productions de l’Atelier lyrique ont commencé. Pendant 10 ans, chaque année, on avait une collaboration avec les étudiants en production de l’École nationale de théâtre et ça, ça a été génial, même si financièrement, ça a été éprouvant. Depuis quelques années, on a ajouté une toute nouvelle dimension à ces productions puisque la création de nouveaux opéras fait maintenant partie du mandat de l’Atelier. Ça bonifie grandement l’expérience des artistes en résidence, tout comme celle de notre public. » 

Patrick Corrigan : un grand allié pour l’Atelier lyrique 

Ces difficultés financières empêchent la directrice d’avoir les coudées franches, ce que constate dans un rapport Patrick Corrigan, avant qu’il ne soit nommé directeur général de l’Opéra de Montréal. « Patrick avait été mandaté pour venir faire l’évaluation du programme, en 2014. On est allé en profondeur dans notre réflexion avec lui et il a été très admiratif de notre démarche. Son rapport n’aurait pas pu être plus dithyrambique! Mais il avait également soulevé quelques lacunes reliées principalement au budget dont on disposait pour respirer et faire du bon travail. » 

Lorsqu’il prend la tête de l’Opéra de Montréal en 2016, Patrick Corrigan lui fait une promesse. « Il m’a dit: “on va travailler ensemble pour organiser un programme différent qui a son propre modèle et faire en sorte qu’il devienne le choix numéro un des artistes émergents.” Et c’est ce à quoi on s’applique depuis ce jour. »  

Le développement de l’artiste au cœur d’un programme unique 

Dans les éléments qui distinguent l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal des autres programmes pour jeunes artistes, il y a cette mission de dévoiler l’unicité de chaque personne et de développer son autonomie. Grâce à un budget discrétionnaire qu’ils utilisent en fonction de leurs besoins, les artistes se responsabilisent. L’accompagnement en préparation mentale à la performance leur apprend à mieux se connaître et à travailler à partir de ce qu’ils sont pour aller chercher le meilleur d’eux-mêmes.  

« Toute notre réflexion est allée dans le sens de la singularité. Dans un domaine comme le nôtre, qu’on compare souvent aux Olympiques de la voix, il n’y a pas d’autre façon de survivre que d’être soi-même à 100 %. On ne met pas les jeunes dans un moule, on les professionnalise, on les amène à arriver avec une proposition différente, à s’assumer. Un jeune qui se joint à l’Atelier sait qu’il va y trouver une famille, une équipe 360 degrés, des collègues bienveillants, de la nourriture pour la pensée, pour l’esprit, des outils et des moyens pour se développer. L’atmosphère dans le travail y est unique, exceptionnelle. » 

Une gestionnaire à la force tranquille 

Loin de la directrice autoritaire, Chantal aura été une figure douce et rassurante pour les jeunes tout au long de sa carrière. « Je ne peux pas être leur mère, mais je peux être une collègue à la fois rigoureuse et bienveillante, et je suis leur meilleur public. La grosse critique, elle ne viendra pas de moi. Je sais trop ce qu’il en coûte de courage et de patience pour faire ce métier. Quand je les vois sur scène, leurs imperfections ne me dérangent pas s’ils me disent quelque chose, s’ils me racontent une histoire. Chanter, ça vient avec la responsabilité de livrer une parole. Ce ne sont pas les chanteurs et les chanteuses à la technique parfaite que j’admire, ce sont ceux et celles qui me communiquent quelque chose, qui osent être vulnérables. » 

Le métier de gestionnaire, l’artiste l’a appris au fil des ans, par l’expérience. « Je n’ai jamais cessé d’apprendre, d’étudier, de chercher, de me remettre en question. J’ai toujours voulu m’améliorer, et je me suis entourée de personnes qui me sont complémentaires pour combler certaines facettes que j’ai moins. Je suis fière d’avoir rassemblé autour de moi l’équipe dont j’ai toujours rêvé! Et puis l’Atelier fait désormais partie intégrante de l’Opéra de Montréal et ça aussi, c’est une récompense pour moi. » 

Une transition tout en douceur 

Avoir pu conjuguer scène et travail de gestion tout en restant proche des gens qu’elle aime tout au long de sa carrière, voilà ce dont Chantal est la plus reconnaissante. « On m’a donné le meilleur des deux mondes. J’ai été une gestionnaire, mais aussi une artiste et une pédagogue et ça, c’est très riche. Tous les chapeaux que j’ai portés se sont nourris les uns les autres. » 

Alors qu’elle s’apprête à tirer sa révérence à l’Atelier, la scène appelle de nouveau la soprano, qui intègre en 2020 le projet d’Albertine en cinq temps — l’opéra, en pleine pandémie. Non seulement elle y livre une touchante interprétation du rôle-titre à 70 ans, mais elle collabore également à l’écriture du livret à partir de l’œuvre originale de Michel Tremblay. Un bonheur pour la femme qui a noirci des cahiers pendant des années, sans savoir quelle forme son amour pour l’écriture prendrait un jour. « Ce projet est un véritable cadeau. Quand la metteuse en scène Nathalie Deschamps m’a téléphoné pour me proposer le rôle, je n’ai pas réfléchi deux secondes avant de dire oui! »  

Alors que le spectacle prendra la route au courant des prochains mois, la retraite se dessine pleine de possibilités encore inconnues. « La collaboration avec les femmes merveilleuses d’Albertine m’a fait réaliser que j’avais encore d’autres sentiers à explorer. La retraite, ce n’est pas obligé d’être une espèce d’antichambre de la mort! Je suis une grande insécure, mais j’essaie de lâcher prise et de laisser la chance à la vie de m’ouvrir d’autres portes. » 

Et la porte de l’Atelier, elle, restera à jamais ouverte à celle qui y a fait sa marque avec douceur, beaucoup d’amour et de dévouement. Une richesse que l’on portera longtemps.  

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