La beauté du monde : pour la sauvegarde de l’art

Actualités lyriques

Par

04 novembre 2022

Texte : Véronique Gauthier

Photos : Pierre-Étienne Bergeron

Plongeon à l’époque de la Seconde Guerre mondiale où, parallèlement à la tragédie humaine, se produit un autre massacre : celui des œuvres d’art dilapidées, dérobées et détruites sous l’idéologie nazie. Sous la plume aguerrie de Michel Marc Bouchard et la musique tout en textures de Julien Bilodeau, l’opéra La beauté du monde se fait porteur d’un propos qui résonne encore aujourd’hui et nous rappelle l’importance de ceux et celles qui contribuent à la sauvegarde de l’art.

Rencontre avec deux grands créateurs qui ont uni leurs forces pour nous raconter cette histoire.

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Quand l’histoire rejoint l’actualité

L’idée de La beauté du monde vient à Michel Marc Bouchard alors qu’il sort à peine de l’aventure des Feluettes avec l’Opéra de Montréal.

« Les créations naissent parfois de coïncidences », raconte-t-il. « C’était au moment où une série de destructions de sites archéologiques et patrimoniaux avaient cours, comme le saccage du musée de Bagdad, du temple de Palmyre, la destruction d’Alep et de la bibliothèque de Mossoul. Je suis tombé sur un documentaire sur Jacques Jaujard, qui a contribué à sauver les œuvres du Louvre pendant la Deuxième Guerre mondiale, et je me suis dit qu’il y avait là matière à faire un opéra. »

Au même moment, Michel Beaulac lui demande s’il n’a pas une idée à lui soumettre pour une prochaine création à l’Opéra de Montréal. Il n’en faut pas plus pour que le projet entre dans le collimateur, et le compositeur Julien Bilodeau se joint rapidement à l’aventure. 

Un deuxième opéra sous forme de baptême

Bien qu’ils en soient tous deux à leur deuxième collaboration avec l’Opéra de Montréal, Julien Bilodeau et Michel Marc Bouchard vivent à travers La beauté du monde une expérience nouvelle en créant à partir d’un matériau complètement original. En effet, alors qu’avec Les Feluettes le librettiste adapte sa propre pièce de théâtre, le compositeur, de son côté, transpose un album de Pink Floyd à l’opéra pour Another Brick in the Wall.

« Comme tout était à inventer, je vois cet opéra comme une grande naissance », raconte celui qui s’est découvert une véritable passion pour l’écriture vocale. « C’était tout un défi de mettre en musique une si grande charge de mots, comparativement au livret beaucoup plus succinct de Another Brick in the Wall. »

Du théâtre à l’opéra

Pour élaborer son livret d’opéra, Michel Marc Bouchard puise dans la musicalité des mots. « C’est extraordinaire de pouvoir, en tant qu’auteur, explorer la dimension lyrique de son travail. Écrire pour le théâtre et écrire pour l’opéra sont des approches très différentes. Au théâtre, la parole est action, alors qu’à l’opéra, c’est la musique qui est action. L’opéra fait beaucoup plus appel au poète en moi. Si le théâtre reproduit l’oralité, je choisis mes mots à l’opéra en fonction de leur sonorité. »

Pour s’adapter au médium, le dramaturge trouve sa propre musicalité dans les mots, dans la rythmique de ceux-ci et dans la construction différente des phrases. « Certains de mes personnages s’expriment avec moins de syllabes, alors que d’autres s’étendent davantage. Ensuite, je fais confiance au compositeur! L’artiste suprême à l’opéra, c’est lui. Je suis là pour lui livrer une proposition claire et précise qu’il développera ensuite dans sa musique. »

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S’inspirer des mots et de l’époque pour composer

La musicalité des textes de l’auteur simplifie grandement le travail de Julien Bilodeau. « Ils sont tellement bien construits! Dès la première lecture, j’en avais des frissons », se souvient-il. « Michel Marc a fait attention de plier sa plume à une métrique, ce qui a rendu ma prosodie à moi beaucoup plus facile. Le texte s’adapte tout naturellement à la musique. »

Avant de s’asseoir pour composer, le musicien s’imprègne d’abord du contexte de l’époque. « On est à Paris dans les années 40, j’ai donc lu sur les compositeurs de ces années-là : les compositeurs bannis, censurés, récupérés par le régime, ceux de la résistance. J’ai écouté leur musique, j’en ai été habité et ça traverse l’esthétisme de l’œuvre. »

Comment décrirait-il son style musical? « J’ai toujours écrit beaucoup pour orchestre, donc c’est certain que l’apport orchestral est toujours très important, très fourni. Je travaille beaucoup les lignes mélodiques, les textures, les couleurs. Harmoniquement, il y a toujours un point d’ancrage tonal qui sert de base, mais il y a beaucoup d’épices au-dessus de cet ancrage. On pourrait qualifier ma musique comme étant dans la lignée de Britten, avec une touche française, notamment dans l’orchestration des bois. »

Son utilisation d’un chœur orchestral, prenant place dans la fosse et étant traité comme une section de l’orchestre, n’est pas non plus sans rappeler Daphnis et Chloé de Ravel ou Sirènes de Debussy.

Une collaboration fluide et enrichissante

En se rencontrant, les deux artistes jettent les bases d’une solide équipe de création. Tellement que, après avoir écrit La beauté du monde, les deux hommes récidivent en collaborant sur un nouvel opéra, La Reine-Garçon, qui verra le jour devant public en 2024.

« J’ai découvert mon âme sœur, il n’y a pas de doute », assure Julien Bilodeau. « On est arrivé à établir un vocabulaire commun, on est capable de se parler sans être sur la défensive, on est ouvert aux commentaires et aux critiques de l’autre », renchérit Michel Marc Bouchard.

« La collaboration, c’est ce qui m’allume le plus dans l’opéra », affirme le compositeur. « Approfondir des relations artistiques comme celle que j’ai avec Michel Marc, c’est tellement précieux. Pour un compositeur qui est habitué à travailler seul, il y a beaucoup de lumière là-dedans. »

L’implication de la direction artistique

Tout au long du processus, les deux créateurs sont accompagnés par l’expérience et le regard extérieur de Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal. « Michel est totalement dévoué à ce projet-là. Il y met tout son cœur », affirme Michel Marc Bouchard. « Il est capable de mettre les lumières aux bonnes places pour nous guider », ajoute Julien Bilodeau. C’est à la fois un paravent, un paratonnerre, une boussole et un phare qui nous permet de nous enligner et de nous réenligner dans notre travail. C’est assez extraordinaire. »

Après deux reports dus à la pandémie, le rideau s’apprête enfin à se lever sur l’œuvre qui se destinait d’abord au théâtre Maisonneuve dans un désir de proximité avec le public. Sur la scène Wilfrid-Pelletier, la fresque grandiose prendra vie, porteuse de toute la passion, la générosité et l’amour de l’art de deux créateurs chevronnés. Laissez-les vous raconter et vous émouvoir de ces destins héroïques et de ces tragédies toujours à nos portes aujourd’hui.

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