Ariane Girard: une magicienne de la voix au service des jeunes artistes

Actualités lyriques

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31 janvier 2023

Texte : Véronique Gauthier
Photos : Marianne Charland

Passionnée de technique vocale, amoureuse de la musique, oreille imbattable, guide avisée et bienveillante, grande connaisseuse du répertoire, magicienne de la voix: les éloges pleuvent lorsqu’il est question d’Ariane Girard, mezzo-soprano et professeure de chant principale de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Et pour cause! 

Celle qui accompagne l’épanouissement vocal des jeunes artistes au sein de l’institution depuis 2016 mise sur une approche saine, près de la voix parlée, et sur l’unicité de chacune et chacun d’entre eux pour leur faire prendre leur envol dans le monde lyrique. Et son parcours loin des sentiers battus contribue certainement à enrichir son enseignement.

Un amour profond et entier pour la musique

L’histoire d’Ariane est tout sauf banale. Originaire du Lac-Saint-Jean, elle grandit dans un milieu où, entre le hockey et la réalité ouvrière, l’art brille plutôt par son absence. Chantant dans une chorale et touchant au piano, au violon et à la clarinette, la mélomane se sent rapidement étrangère parmi les siens. Au contact de son professeur de musique au secondaire, son monde s’ouvre. 

« Il m’a amenée voir du théâtre en région, écouter l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Saint-Jean, m’a fait découvrir des disques. Ça a été une révélation. Il m’a sauvée. »

Adolescente, elle s’absente de l’école pour passer des heures dans sa chambre à écouter du classique, du gospel, Édith Piaf, Jacques Brel. Elle ne connaît rien à l’opéra, jusqu’à ce qu’un jour… l’illumination.

Un coup de foudre inattendu

En visionnant une émission sur une cassette VHS, l’adolescente tombe par hasard sur une publicité de la compagnie aérienne British Airways, dans laquelle on entend le Duo des fleurs de l’opéra Lakmé. Obnubilée, la jeune fille recule la cassette une fois, 10 fois, 20 fois. 

« Je me suis empressée de demander à mon prof de musique c’était quoi, ça. Il m’a acheté un CD double intitulé The Best Opera Album In The World Ever, avec tous les greatest hits. Je l’ai écouté en boucle, j’ai pris 5 ou 6 cours de chant et je me suis inscrite au Collège d’Alma en chant classique. »

Un parcours académique houleux

À son entrée au cégep, sa voix n’est pas encore placée, mais déjà, sa musicalité et sa sensibilité se font remarquer. Pour poursuivre son apprentissage, celle qui chante alors comme soprano quitte sa région natale pour rejoindre la grande ville et l’École de musique Schulich de l’Université McGill. L’expérience qui l’attend s’avère beaucoup plus ardue. 

« J’avais une voix compliquée et j’ai été envoyée dans toutes sortes de directions qui n’ont pas été heureuses. Malgré ça, je gagnais des concours, j’avais un certain succès. On me disait que ça marchait, mais j’avais mal. Et je n’avais plus aucun plaisir à chanter. » 

À l’obtention de son diplôme, la blessure est profonde dans son cœur d’artiste. Celle qui avait la musique pour seul moteur se sent perdue. Heureusement, deux coachs pianistes croisent son chemin et lisent en elle. « C’est quand même ironique que ce soit deux pianistes qui m’aient comprise vocalement, alors que les professeurs de chant que j’avais eus n’y étaient pas arrivés. Ce sont eux qui m’ont donné une légitimité dans ce que je ressentais. Ils ont entendu que j’avais un bon instrument, mais que je ne l’utilisais pas bien. » 

Perfectionner sa technique pour servir la musique

À la suite de ces rencontres, Ariane entame une recherche personnelle pour mieux comprendre les rouages de la voix. « Je travaillais chez HMV à l’époque et j’avais accès à plein d’albums tirés de vieux enregistrements. Claudia Muzio, Birgit Nilsson, Enrico Caruso, Ettore Bastianini, Eleanor Steber… une vraie mine d’or! Je me suis mise à me poser des questions. Ce son très vrai, très cru, pourquoi on ne chante plus comme ça aujourd’hui? Qu’est-ce qui s’est passé? Pourquoi est-ce que je préfère ça à ce qui se fait actuellement? »

Ne trouvant pas de réponse dans son réseau à Montréal, Ariane s’installe en Europe pendant deux ans. France, Allemagne, Pays-Bas: elle sillonne les routes, rencontre plusieurs professeurs et coachs et se nourrit abondamment de leurs connaissances.

« Ma quête technique s’est toujours résumée à une seule chose: comprendre et maîtriser mon instrument pour pouvoir faire ce que je veux et être la meilleure interprète possible pour le compositeur. On est là pour servir la musique. C’est pour ça qu’il faut développer tous les outils techniques. Pas pour devenir une machine de son. »

Une reconstruction complète

En Europe, Ariane vit sa vie de rêve. Malheureusement, une blessure physique l’oblige à revenir à Montréal et à entamer une convalescence. Peinant à marcher à cause d’une double hernie discale, elle se reconstruit à la fois physiquement et vocalement. « Ça a été un gros deuil. Dans ma tête, c’était fini. Pour gagner ma vie, je suis devenue manager dans un salon de coiffure. Et puis, j’ai rencontré une nouvelle professeure de chant. »

Pour la première fois de sa vie, elle entend parler du centre de la voix, du lien entre la voix parlée et la voix chantée, de la phonation et de la position des cordes vocales. « Des choses très de base, mais dont on ne m’avait jamais parlé, ce qui pour moi est un non-sens. » La pratique s’accompagne de lectures de nombreux traités vocaux et de biographies de chanteurs et chanteuses qu’elle admire. 

« Comme chanteurs, on nous demande d’être flexibles, d’être ouverts, de répondre aux demandes du chef, mais pour être en mesure de le faire, il faut être outillés! »

Une professeure qu’on s’arrache

Peu à peu, les chanteurs et chanteuses de son entourage font appel à sa fine oreille pour les guider. « C’est Marie-Eve Munger, une amie de longue date, qui m’a demandé la première d’être son oreille extérieure pour l’enregistrement de son premier album. D’autres se sont ensuite ajoutés, le bouche-à-oreille a fait son effet et mon studio a commencé à prendre forme. » 

Rapidement, son nom circule et la demande augmente. Partageant dorénavant son temps entre son rôle de professeure - en studio privé et à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal -, ses contrats de chanteuse et sa famille (elle est mère de trois jeunes enfants), la mezzo-soprano s’efforce de conserver le plus grand équilibre possible entre les trois pointes de son triangle, comme elle les appelle.

« Je suis une meilleure professeure quand j’ai le temps de chanter. Ça me garde connectée à ce que ça demande comme courage, comme énergie, comme préparation et comme implication de monter sur scène. Ça me nourrit et c’est important de rester branchée là-dessus. » 

Guider les jeunes artistes à un moment charnière de leur carrière

Accompagner les chanteurs et chanteuses de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal est un privilège qui enchante la professeure. « Je ne suis pas dans un rapport maître-élève avec eux, je me vois plutôt comme une passeuse d’information. La plupart du temps, quand ils arrivent, le meuble est déjà assez en ordre, je dois seulement faire un peu d’ajustement et libérer quelques clés. Je donne des informations très claires, et pour la plupart, ils sont vraiment réceptifs, humbles et ouverts. »

Un de ses atouts? Ses oreilles finement aiguisées. « N’importe qui peut poser un diagnostic. Mais une fois que c’est fait, comment règle-t-on le problème? Quand j’entends un chanteur, je sens ce qu’il fait dans ma gorge, dans ma bouche, dans mon palais. Il y a quelque chose qui se connecte physiquement avec ce que j’entends. Je sais ensuite par quel chemin défaire ce qui doit l’être. »

Faire briller l’unicité de la voix

Cette faculté lui confère une grande force: la capacité d’adapter son enseignement à chaque artiste qu’elle rencontre. Au-delà des bases communes, pas de recette miracle applicable à tous. « Tout le monde n’arrive pas du même endroit et chaque personne comprend les choses d’une manière différente. Ça demande une immense flexibilité et j’adore ça. Ça rejoint mon petit côté psy et mon amour pour l’être humain. » 

Son plus grand bonheur: fermer les yeux dans une salle et continuer de percevoir la voix parlée de quelqu’un à travers sa voix chantée. « Ce sera toujours mon but ultime: outiller mes élèves pour qu’ils sonnent comme eux-mêmes, et non comme un son générique. Ça, ça me touche énormément. »

Plus qu’une professeure, une mentore

Ariane accompagne les jeunes artistes bien au-delà de leur travail vocal. « C’est une chose que de bien chanter, mais le Talent avec un grand T, c’est beaucoup plus large que ça! La rigueur dans le travail et dans la musique, l’investissement, l’éthique, la personnalité, la collégialité, c’est primordial pour faire carrière. » 

Dans un milieu où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, cultiver sa créativité pour développer ses forces et se distinguer est aussi un incontournable. « Quand j’ai étudié, on prônait beaucoup un seul modèle de carrière: la carrière internationale. Heureusement, on voit de plus en plus d’artistes multifacettes et polyvalents se construire une carrière à leur image. À l’Atelier, on encourage les jeunes à ouvrir leurs horizons et à trouver qui ils sont, eux, comme artistes. »

Une équipe composée de la crème de crème

La formation 360º dont bénéficient les jeunes dans le contexte bienveillant et accueillant du programme est unique.

« Mon rôle à l’Atelier lyrique est très clair. Comme prof de chant, ma job est d’apprendre aux chanteurs et aux chanteuses à chanter. Leur donner des outils pour faire ce qui est écrit dans la partition. Esther [Gonthier] est là pour coacher la musique, il y a quelqu’un pour la diction, quelqu’un d’autre pour la préparation mentale à la performance... Tout le monde est dans sa zone d’excellence et peut offrir le meilleur de lui-même. »

Pas de travail en silo, ici, le mot d’ordre est « collaboration ». Chapeautée par la directrice Chantal Lambert, qui prendra sa retraite à la fin de la présente saison, toute l’équipe mise sur une approche humaine pour installer un climat de confiance, un safe space où les jeunes se sentent libres d’explorer. « Dans mon studio, ils ne sont pas là pour m’impressionner. C’est le moment d’essayer, sans crainte d’être jugé. Et puis on apprend tellement mieux dans la douceur et le respect. »

En témoignent les messages qu’elle reçoit de la part d’anciens et anciennes membres de l’Atelier lyrique. « Certains nous écrivent pour nous dire “Vous ne savez pas à quel point l’Atelier est une oasis. Je me sentais en sécurité, je pouvais être qui je suis, vous m’avez pris et m’avez aidé à ancrer mes racines et à fleurir.” Je pense que c’est ça, la force du programme. »

Des outils pour prendre son envol

L’accomplissement ultime de la professeure dévouée: voir ses élèves gagner en autonomie. « Ma mission, c’est de tellement bien les outiller qu’ils peuvent ensuite voler de leurs propres ailes. Ça me rend tellement heureuse! Bien sûr que même si je ne leur enseigne plus, ils peuvent revenir me voir lorsqu’ils en ressentent le besoin, pour un cours ou pour jaser. Je serai toujours là. Mais je ne les attache pas. »

Et si toutes ces difficultés rencontrées dans son parcours, Ariane avait su les transformer en positif pour les transmettre aux autres à travers son enseignement? « J’aurais pu abandonner, mais mon amour de la musique est trop fort. Aujourd’hui, quand je vois mes élèves qui réussissent, qui sont bien, heureux, qui sonnent comme eux-mêmes et qui enseignent à leur tour, quel ravissement! »

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