Esther Gonthier: quand rigueur et plaisir se rencontrent au piano

Actualités lyriques

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09 mars 2023

Texte : Véronique Gauthier

Photos : Marianne Charland

En répétition à l’opéra, à l’orchestre, en coaching, à l’université, en concert, en récital, sur disque, dans les concours internationaux: il n’y a pas à dire, la pianiste-répétitrice, cheffe de chant et assistante au chef d’orchestre Esther Gonthier est partout sur la scène lyrique. Dans toutes les sphères du milieu, à Montréal et au-delà, elle met son vaste bagage d’expérience à profit pour les artistes avec qui elle collabore. 

Depuis maintenant deux ans, la pianiste guide les jeunes artistes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal à titre de cheffe de chant principale, un rôle arrivé à point nommé dans sa carrière. 30 ans d’un riche parcours à partager, une grande maîtrise du répertoire, une connaissance absolue du milieu: il y a de quoi enrichir le passage de tout artiste dans le programme!

Pianiste un jour, pianiste toujours

Se demander ce qu’elle veut faire dans la vie? Voilà une question qui semble ne jamais avoir effleuré l’esprit de la pianiste collaboratrice. Débutant le piano à l’âge de 3 ans, sa vocation s’impose déjà. Bien que sa famille ne baigne pas dans le monde de la musique, le doute n’existe pas pour l’enfant originaire de Lévis. 

« J’ai toujours su que je voulais être pianiste. C’était une évidence. Quand j’avais 5 ans, je pratiquais deux heures par jour. Pas parce que j’étais obligée, parce que j’aimais ça! » 

Sa meilleure amie d’enfance étant passionnée par le chant, la jeune Esther l’accompagne au piano dès l’âge de 10 ans. Le duo grandit en faisant de la musique ensemble… et deux carrières voient le jour! « Elle est devenue chanteuse lyrique, je suis devenue pianiste accompagnatrice. J’ai toujours fait ça! Pendant mes études, j’ai aussi accompagné d’autres instruments, mais j’étais bonne avec les chanteurs, parce que je respirais avec eux. J’ai toujours eu une affinité naturelle avec le chant. »

Une voie toute tracée

Ses aptitudes développées très tôt en font l’accompagnatrice par excellence pour les étudiants et étudiantes en chant lyrique pendant ses études au cégep, puis à l’Université Laval. Les choses s’enchaînent ensuite tout naturellement. 

« Une carrière de soliste aurait peut-être été possible, mais je ne voulais pas être toute seule. Et puis je suis trop éparpillée! Être coach, c’est parfait pour mon cerveau parce que ça demande énormément de concentration et de focus. Je suis tellement occupée à penser à plusieurs choses à la fois que mon esprit ne peut pas partir dans plein de directions. »

La conciliation travail-famille

Lorsqu’elle fait son entrée à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal en tant que toute première stagiaire pianiste en 1989, Esther est déjà maman d’un enfant de 19 mois et d’un bébé de tout juste 2 mois. Force de caractère, boule d’énergie, force de la nature? Un peu (beaucoup) tout ça la définit, assurément!

« Quand je me suis présentée à mon audition, j’allais accoucher deux semaines plus tard d’un bébé de 10,4 lb. Mon ventre était énorme, j’avais du mal à toucher le clavier! Bernard Uzan, qui était directeur artistique à l’époque, m’avait préparé deux piles de partitions de chaque côté du piano, et il me disait ce qu’il voulait que je joue. J’enchaînais les pièces et à un certain moment, il m’a demandé si je voulais prendre une pause. Je l’ai regardé droit dans les yeux, et j’ai dit non. Je sais que c’est là que je l’ai eu. Je sais qu’à ce moment-là, il s’est dit que ça allait être correct. » 

Mener une carrière tout en ayant une famille n’a donc rien d’une utopie pour la travailleuse assidue. « C’est difficile par exemple! J’ai toujours dit qu’avoir des enfants, ça te fait faire de meilleurs choix. Au lieu d’essayer beaucoup de choses à gauche et à droite, ça t’amène à prioriser et à dire non plus souvent. »

Un poste sur mesure

Après son passage comme stagiaire à l’Atelier lyrique, Esther demeure à l’institution de l’Opéra de Montréal en tant que coach et pianiste répétitrice. C’est plusieurs années plus tard, à la suite du départ de Marie-Ève Scarfone pour Zürich, qu’elle est approchée pour assurer la transition au poste de cheffe de chant principal. L’idée d’en devenir la titulaire officielle ne fait alors pas partie de ses plans. 

Le rôle de cheffe de chant principale implique de multiples responsabilités. En discutant avec Holly Kroeker, également pianiste et ancienne stagiaire de l’Atelier lyrique, l’idée émerge de former un tandem pour remplir les différentes fonctions inhérentes au poste. Elles présentent alors une proposition à Chantal Lambert, directrice du programme, qui s’empresse de l’accueillir favorablement. À l’automne 2021, Esther devient donc officiellement la cheffe de chant principale de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, et Holly, assistante à la formation musicale. Un duo d’une belle complémentarité!

Un programme humain et collaboratif

À sa première année en poste, toute l’équipe travaille très fort à élaborer un mode de fonctionnement optimal et à se créer une synergie à toute épreuve. Lorsque l’année se termine, le noyau professoral est solide comme le roc. 

« Avec Ariane [Girard], on est vraiment un team. On se parle, on se consulte, on joue franc-jeu, on travaille ensemble dans la même direction. » La richesse du programme? Son humanité. « C’est vraiment unique. On essaie de comprendre les jeunes artistes dans tous les aspects de leur vie, et de faire en sorte que la partie “chanteur” soit agréable. C’est entre autres pour cette raison qu’il y a un volet psychologique très présent. Ça change tout. » 

La rigueur d’abord et avant tout

Qu’elle travaille avec les étudiants et étudiantes de l’École de musique Schulich de l’Université McGill, les artistes émergents de l’Atelier lyrique ou des professionnels bien établis dans le milieu, le credo d’Esther demeure le même: la rigueur avant tout, et la partition au centre de tout.

« Je suis connue pour ça! Ma matière première, ma vérité, ça demeure la partition. Je pars toujours de là. Après, une fois l’architecture de base bien construite, tu peux mettre les divisions de ta maison où tu veux, mais il faut que ta structure soit solide. »

Même après avoir joué un opéra des dizaines de fois, Esther n’a pas peur de rouvrir ses cahiers et de retourner aux sources. « Quand on pense qu’on sait quelque chose, c’est le pire. C’est important de se questionner. Mais il faut aimer ça! Moi, j’adore avoir une partition dans les mains, la regarder, l’analyser, redécouvrir des détails que j’avais oubliés. Alors la rigueur, oui, mais dans le plaisir. C’est le fun d'être rigoureux! Ce n’est pas un carcan. Au contraire, la liberté est beaucoup plus grande une fois que tu maîtrises bien la partition. »

Après la rigueur, la liberté!

Sa plus grande fierté? Voir un artiste lyrique arriver au bout de son travail et maîtriser si bien la partition qu’il peut apporter une proposition qui lui est propre. « Et là, ça fleurit et c’est extraordinaire. Ça n’a pas besoin d’être parfait, quelque chose se passe et ça lève complètement. »

Être à son affaire, sur scène et en coulisses 

Rigueur musicale, donc, mais aussi rigueur dans l’attitude et le professionnalisme. Arriver à l’heure, avec une préparation adéquate et ranger son téléphone cellulaire au moment opportun sont quelques-uns des éléments qu’elle inculque aux jeunes artistes de l’Atelier lyrique. « On a tous des excuses et des “oui, mais” dans la vie. Mais au final, c’est le degré de préparation avec lequel tu arrives qui est important. En plus de la technique, on développe leur éthique de travail. Je représente un peu l’autorité maternelle avec eux. Je les responsabilise, et ils ne peuvent pas m’en passer! », ajoute-t-elle en riant.

Un métier qui prend du temps 

Être pianiste coach exige de porter plusieurs chapeaux: maîtriser la diction, l’histoire, les rouages du métier, les styles, être apte à jouer et écouter simultanément. « Je trouve que ça prend du temps, se développer. Il faut y aller graduellement: d’abord, repérer les notes et les rythmes qui ne sont pas justes, ensuite, on apprend les langues et on peut corriger la diction. Avec le temps, la maîtrise du style s’acquiert. Ça demande du métier. »

Il faut également être apte à développer une grande flexibilité et une agilité hors pair pour répondre aux différentes demandes des chefs d’orchestre qu’on rencontrera tout au long de sa carrière. Que ce soit comme pianiste-répétiteur, coach ou accompagnateur, être en mesure de s’adapter à chaque demande est essentiel. 

Avec les deux pianistes stagiaires de l’Atelier lyrique, elle se voit comme une collaboratrice. « Je les invite à me dire de quoi ils ont besoin, je leur pose beaucoup de questions. Je tente de les responsabiliser aussi. Souvent, je les reçois pour un coaching, puis un chanteur ou une chanteuse se joint à nous et c’est le pianiste stagiaire qui coach. J’interviens, je passe des remarques, je complète. De cette façon, l’enseignement que je donne s’allie tout de suite à la pratique. » 

Grâce à son impressionnante expérience, son dévouement, son implication et sa rigueur, Esther transmet aux résidents et résidentes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal de précieuses clés pour qu’ils puissent entamer leur carrière avec les outils nécessaires pour affronter la réalité et les exigences professionnelles. À l’instar du travail musical que les artistes font avec elle, c’est un peu comme si les jeunes sortaient du programme en ayant bien travaillé leur partition, pour pouvoir ensuite librement se construire une carrière à leur image! 

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