Rocio Vadillo : quand le flamenco rencontre l’opéra

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15 mars 2023

Texte : Véronique Gauthier
Photo : Pier-Olivier Pinard

Au cœur de l’opéra Ainadamar, le rythme du flamenco bat très fort. Sur fond de guerre civile, il exprime la lutte pour la liberté et se fait la voix de la douleur. Dans le cadre de la production présentée par l’Opéra de Montréal, Rocio Vadillo tire les ficelles des chorégraphies tout en tenant le rôle de danseuse-soliste.

Comment le vent du sud de l’Espagne a-t-il mené cette artiste jusqu’à Montréal, où elle partage aujourd’hui avec le public un pan important de sa culture? Coup d'œil sur son parcours, de l’Andalousie jusqu’aux coulisses du Théâtre Maisonneuve.

Une simple corde à son arc

C’est à Cordoue, en Andalousie, que la jeune Rocio grandit et se forme à l’école de théâtre. Destinée à une carrière d’actrice, elle s’installe à Madrid, bourses en main pour y poursuivre ses études en art dramatique. « Madrid, c’était ma destinée. J’étais certaine que j’allais y faire ma vie », se souvient-elle.

Parallèlement à ses études, elle danse et enseigne le flamenco, sans toutefois l’envisager comme une véritable profession. « Je ne me prenais pas du tout au sérieux. C’était simplement une corde de plus à mon arc. »

De Madrid à Paris, puis à Montréal

Une corde qui s’avère bien utile, alors qu’elle s’envole pour un séjour estival de trois mois à Paris avec des amis, séjour qui se prolongera… pendant 15 ans! « Quand je suis arrivée, je ne parlais pratiquement pas français, alors travailler comme comédienne n’était pas vraiment envisageable. C’est là que le flamenco s’est mis à occuper une plus grande place. Rapidement, j’ai évolué dans le milieu, à la fois comme chanteuse et danseuse. »

En 2018, la danseuse, comédienne, chanteuse et professeure fait le grand saut avec son amoureux et leurs trois filles vers une nouvelle terre d’adoption: Montréal. « Ici, j’ai senti que la porte des possibles allait s’ouvrir toute grande à moi. Et je ne me suis pas trompée! »

Un cadeau sur un plateau d’argent

Lorsque Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal, lui offre d’être chorégraphe et danseuse-soliste pour un opéra portant sur García Lorca, Rocio n’en revient pas de sa chance. «En tant qu’Andalouse et comédienne, García Lorca fait partie de mon ADN, alors c’était un véritable cadeau du ciel! »

Dès la première écoute, elle tombe sous le charme de la musique d’Ainadamar. « Il y a une réelle fusion entre l’opéra et le flamenco. Les rythmes sont intégrés à la musique classique de façon très profonde et authentique, très loin des clichés. Ça m’a séduite! »

Le projet la rejoint d’autant plus que la guerre civile est liée à son histoire familiale. « Mon grand-père l’a vécue et ma grand-mère m’en a parlé pendant toute mon enfance. De raconter cette partie de mon histoire, aujourd’hui, à Montréal, ça me touche beaucoup. Comme si mes origines et ma terre d’accueil se rencontraient. »

Créer dans le plaisir

Être chorégraphe tout en se produisant en solo sur les planches procure un grand bonheur à l’artiste. « C’est merveilleux de porter les deux chapeaux. J’ai le meilleur des deux mondes! Je n’exprime pas les mêmes choses à travers les chorégraphies de groupe qu’avec mes solos, ça me permet d’explorer.»

Elle retire également un grand plaisir à collaborer avec le metteur en scène, Brian Staufenbiel, qui laisse une grande liberté aux créateurs. «Le flamenco n’est pas du tout anecdotique dans l'œuvre, et Brian m’a fait entièrement confiance. J’ai aussi travaillé de pair avec Dominique Guidon pour les costumes, pour qu’on s’assure que les contraintes de mouvements soient respectées, tout en ne dénaturant pas les tenues de l’époque.»

Les femmes au cœur de la révolution

Dès le départ, Rocio souhaite à travers les chorégraphies de groupe donner vie à ces femmes qui, pendant la révolution, s’investissent dans la lutte et prennent leur destin en main.

« Ce sont des femmes qui ne se sont pas laissées emporter par la tragédie. Des mères qui, après avoir tout perdu, décident de prendre les armes pour lutter pour leur liberté, celle de leur pays, de leurs sœurs. En Europe, les Espagnoles sont les premières à avoir eu le droit de vote et le droit à l’avortement est arrivé très tôt, mais tout ça a été renversé pendant la guerre. C’est très important pour moi, en tant que femme et mère de femmes, de rappeler que nous ne sommes jamais à l’abri d’un recul. Rien n’est acquis. Même aujourd’hui. »

Une œuvre inoubliable

Que retiendra le public de cet opéra où musique et danse évoluent étroitement, et où l’Espagne est à feu et à sang? « Je crois que c’est un opéra très particulier qui ne s’oublie pas. Et qui sait, peut-être les spectateurs seront-ils sensibilisés à l’histoire de l’Espagne et auront-ils envie de plonger dans l'œuvre spectaculaire de García Lorca? C’est ce que je souhaite. »

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