Mot de la metteure en scène de Madama Butterfly

Actualités lyriques

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28 avril 2023

Texte  : Stephanie Havey

Madama Butterfly est l’un des plus grands trésors du répertoire lyrique. La difficulté d’approche dans la mise en scène de cet opéra réside dans le fait que l’histoire est racontée d’un point de vue occidental : un étranger qui regarde la culture japonaise sans la comprendre entièrement. Les origines de cette histoire remontent probablement au 19e siècle. Le journal intime d’un officier de marine, Pierre Loti, auteur du roman Madame Chrysanthème, est largement reconnu comme étant la version originale. Une autre source est le récit de missionnaires blancs, chrétiens-méthodistes, à Nagasaki, qui affirmaient connaître la Cho San originale, « Mlle Butterfly », une femme qui travaillait dans une maison de thé locale et qui a épousé un officier de marine, a eu un enfant, puis a été abandonnée par son mari. Cependant, dans ce dernier récit, elle s’est enfuie avec son enfant et ne s’est pas suicidée.

Ainsi, l’intrigue de cet opéra est issue d’une perspective extérieure, occidentale. Dans notre approche narrative, je souhaite tenir compte de cette perspective et de ses barrières. Le récit narre la rencontre de deux cultures et les façons dont elles se comparent, s’opposent et entrent en conflit. Dans l’opéra, cette complexité est magnifiquement représentée par l’enfant de Butterfly et Pinkerton, « Dolore ».

En réfléchissant sur l’identité de l’enfant, j’ai commencé à imaginer l’opéra à partir des circonstances entourant sa naissance. Celles-ci débutent par la rencontre de ses parents, et se terminent par le transfert de Dolore en Amérique, avec Kate Pinkerton et son mari, qui l’élèvent comme s’il était leur propre enfant. Cela m’a fait penser à plusieurs de mes amis et collègues qui sont nés dans des pays d’Asie et ont ensuite été adoptés par des parents américains caucasiens. J’ai mené des entrevues pour en savoir davantage sur l’histoire de leur adoption et sur la manière dont ils ont saisi leur identité en tant qu’Américains d’origine asiatique. Dans chaque entrevue, j’ai remarqué une expérience commune, celle du tiraillement entre deux cultures opposées, chaque personne adoptée ayant dû trouver sa propre façon de revendiquer son histoire et sa réalité présente. C’est le cadre dans lequel nous avons raconté Madama Butterfly : son enfant découvre son histoire et la beauté de son passé complexe.


Utatane sōshi emaki, de Tosa Mitsunobu. Encre, peinture et or sur papier. Musée national de l'histoire du Japon de la préfecture de Chiba. 

L’aspect visuel de notre production s’articule autour d’un rouleau narratif traditionnel appelé ko-e. Ce type de petit rouleau de papier a été utilisé au Japon à partir du 14e siècle, jusqu’à l’époque moderne, comme moyen de transmission de courtes histoires, à lire d’un seul trait. Plusieurs de ces histoires étaient basées sur un récit de transformation individuelle et se terminaient de manière inattendue. Elles étaient plutôt didactiques et destinées principalement aux jeunes. Les illustrations utilisées dans le ko-e sont de nature symbolique et fournissent des détails essentiels qui n’apparaissent pas dans le texte. Elles sont souvent centrées sur une maison. Diverses scènes utilisent le changement de position des parois shoji pour montrer le passage du temps ou le point de vue de différents personnages. Dans de nombreuses histoires ko-e, le protagoniste parvient à une sorte de prise de conscience de lui-même. Nous avons donc imaginé Madama Butterfly comme le ko-e transmis à Dolore pour qu’il découvre son passé. Alors qu’il lit le rouleau avec sa mère, les images peintes sont projetées sur la scène et donnent vie à son histoire. Dolore plonge dans le passé alors qu’il tente de déchiffrer une culture qu’il ne comprend pas. À mesure que la page défile, il est ému par la dévotion de sa mère et apprend à reconnaître une partie de son histoire qui lui paraissait autrefois si lointaine.

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