Le couronnement de l'excentricité

Mode de vie

Par Communications et marketing

17 novembre 2023

Aria Umezawa, metteure en scène et agitatrice

Texte : François Ulrich

Photos : Kevin Calixte

Elle a mis en scène une version de La Voix humaine où le rôle de la soprano était tenu par un ténor. Inventé une nouvelle fin à Madame Butterfly. Monté un opéra dans un château gonflable. Et bientôt, c’est Le Couronnement de Poppée qu’elle va déployer pour l’Opéra de Montréal. Elle, c’est la Canadienne Aria Umezawa, artiste engagée qui dépoussière l’art lyrique avec autant d’audace que d’irrévérence. Portrait.

Défier le statu quo

En 2016, lorsque Aria Umezawa a déposé sa candidature à l’atelier de perfectionnement de l’Opéra de San Francisco, on lui a répondu : « C’est gentil, mais nous ne faisons pas de genre de choses ». Quelques mois plus tard, l’institution la rappelait pour lui offrir une place sur un plateau d’argent. Ce qui l’a fait changer d’avis? Un article du San Francisco Chronicle après un spectacle mis en scène par Aria. Le journaliste écrivait : « Je n’ai jamais vu le travail livré avec autant d’élégance, de verve et de pure imagination théâtrale que celui déployé par Aria Umezawa samedi soir. Cette jeune artiste canadienne a [...] la dextérité d’un maître expérimenté. »

De la dextérité, mais aussi du cran. Au printemps dernier, elle a monté un Madame Butterfly à l’Opéra de La Nouvelle-Orléans dont on se souviendra longtemps. Car dans cette version, Cio-Cio-San ne se suicide pas à la fin. Elle quitte simplement la scène. « Cela fait plus d’un siècle qu’on nous fait croire qu’elle est prise au piège et qu’il n’y a pas d’autre issue que la mort. Quel étrange message pour les femmes. Je crois au contraire qu’il y a toujours une façon de s’en sortir. »

Lors de la première, le public n’a pas attendu la fin de l’acte pour réagir. Certains ont crié au génie, d’autres au scandale. « Bousculer l’opéra classique peut faire grincer des dents. Mais en bout de ligne, ma mise en scène a suscité plus d’enthousiasme que de critiques, et j’en suis très fière. »

Un rêve qui débute avec un billet à 5 $

Aria Umezawa avait huit ans lorsqu’elle a découvert l’opéra. « La Canadian Opera Company offrait aux écoles des billets à 5 $ pour les répétitions. Immédiatement, j’ai voulu devenir cantatrice. » Ce n’est qu’à l’Université McGill, alors qu’elle est inscrite en interprétation, qu’elle se rend compte qu’aux lumières de la scène elle préfère l’ombre des coulisses. « J’ai compris que ce que j’aimais le plus, c’était la collaboration et l’imagination. Cela m’a amené à la mise en scène. »

En plus du bonheur de créer, la mise en scène offre à Aria le pouvoir de changer les choses. D’abord pour rendre l’opéra plus accessible. « Mon rêve, c’est que tout le monde soit attiré par l’opéra et se sente à l’aise d’y aller. » Pour réaliser ce rêve, elle cofonde Opera 5, dont le mandat est de développer de nouveaux publics – et notamment le jeune public. C’est là qu’elle offre Le Palais hanté d’Edgar Allan Poe... dans une structure gonflable!

Créer, c’est militer

L’autre bataille d’Aria, c’est l’inclusion. En 2019, elle lance avec des collègues une maison de production qui offre une scène aux communautés marginalisées, Amplified Opera. « Les membres des minorités n’ont pas accès à l’opéra : ils n’ont pas de rôles qui les représentent, pas de place dans les castings. J’ai voulu créer un espace où ils puissent affirmer leur identité et raconter leur histoire. ». L’un des récents succès de la compagnie est The Queen in me, un spectacle mettant en vedette des artistes trans et non binaires.

C’est aussi en 2019 qu’Aria développe un programme de formation pour les témoins de harcèlement lors des répétitions. « Après le mouvement #MeToo dans le cinéma, je me suis dit que ce n’était qu’une question de temps avant qu’un tel scandale n’éclate dans le milieu de l’opéra, qui est encore très hiérarchisé. Quand une personne atteint la gloire, elle n’est plus critiquable et cela peut mener à des abus de pouvoir. » Lorsqu’elle a présenté son initiative à l’Opera American Conference cette année-là, les gens étaient médusés. Et puis l’affaire Placido Domingo a éclaté. « Tout à coup, mon téléphone s’est mis à sonner, tout le monde voulait ma formation, la lutte contre le harcèlement était enfin devenue une priorité. Quatre ans plus tard, je suis heureuse de voir que la situation a évolué, les gens sont plus enclins à parler, à dénoncer. C’est un bon début. »

Mon travail, mes combats

Le pouvoir est justement au cœur du Couronnement de Poppée de l’Opéra de Montréal dont Aria signe la mise en scène. « Cette œuvre raconte tout ce que les gens sont prêts à faire pour gagner du pouvoir. Et moi, dans le milieu de l’Opéra, je suis reconnue pour donner du pouvoir à ceux qui d’habitude n’en ont pas : les chanteurs et chanteuses, les communautés marginalisées... c’est sans doute l’opéra qui représente le mieux mon travail et mes combats. » Les représentations affichent complet à la salle Pierre-Mercure les 18 et 19 novembre.

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