Éric-Emmanuel Schmitt et le mystère de l’amour

Actualités lyriques

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03 avril 2024

Texte: Véronique Gauthier

Qu’est-ce que l’amour? Qui aime-t-on quand on aime? Au cœur d’Enigma, opéra de Patrick Burgan adapté de la pièce Variations énigmatiques de l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, deux hommes s’opposent dans un huis clos et nous entraînent dans un véritable labyrinthe affectif. 

Comment cette pièce touchante et sensible résonne-t-elle sur la scène lyrique? Qu’est-ce qui attend le public de l’Opéra de Montréal au Théâtre Maisonneuve du 7 au 13 avril prochains? On en parle avec Éric-Emmanuel Schmitt, auteur amoureux de musique classique. 

La musique: un autre monde dans notre monde

Depuis le jour où sa tante Aimée fait résonner le piano de la maison familiale avec une pièce de Chopin, la musique a le pouvoir d’éblouir le jeune Éric-Emmanuel. « Ce jour-là, j’ai senti la lumière changer, des ondes et des espaces mystérieux se créer. Le lendemain, je demandais à mes parents d’apprendre le piano. »

Bien qu’il embrasse maintenant une carrière dans les mots, les notes ne sont jamais bien loin pour celui qui a poursuivi son apprentissage du piano jusqu’aux études supérieures au Conservatoire. En témoignent des titres comme Ma vie avec Mozart ou Madame Pylinska et le secret de Chopin, pièce que l’auteur viendra présenter au Québec cet été.

« Dans mes pièces ou mes romans, quand la musique arrive, c’est que les mots sont impuissants. Quand on écoute de la musique, on ne subit plus le temps, on le savoure. Le temps ne passe pas, il palpite. Alors que la littérature raconte le monde tel qu’il est, ou tel qu’il devrait être, la musique est un pur émerveillement, un surgissement de l’inconnu, un mystère palpable. Elle représente un autre monde dans notre monde. Oui, je suis écrivain, mais pour moi, l’art le plus ultime, c’est la musique. » 

Variations sur un même thème 

C’est d’abord avec la musique que naît la pièce Variations énigmatiques, et c’est à la musique que l’opéra Enigma la ramène aujourd’hui. Une suite logique pour cette œuvre inspirée d’un concert à Paris. 

« Je réfléchissais à une pièce que je voulais écrire sur l’amour avec cette idée qu’aimer, c’est ni connaître, ni posséder l’autre. C’est la fréquentation assidue d’un mystère, de quelqu’un qui nous échappe, qu’on ne peut saisir ni par le corps, ni par la pensée. » Lors d’un concert auquel il assiste, l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg interprète un extrait des Variations Enigma d’Elgar à titre de rappel. Tout de suite, la musique le fascine. 

« Dans cette œuvre, à l’exposition du thème, on ne retrouve que les harmonies. Les variations arrivent ensuite autour de ce thème qu’on n’entend pas, mais qui existe, qui est profondément là. Je me suis dit “c’est la figure même de l’amour”. Ce que nous faisons au fond, quand nous aimons, ce sont des variations sur une mélodie que nous n’entendrons jamais et que nous ne posséderons jamais. Tout à coup, cette musique m’offrait une métaphore artistique de ce que je voulais dire. » 

Du théâtre à l’opéra: un passage fluide et naturel

Lorsque le compositeur Patrick Burgan l’approche pour lui demander d’adapter son œuvre théâtrale à l’opéra, l’auteur n’hésite pas. « Ce n’est pas le cas pour toutes mes pièces, mais dans Variations énigmatiques, il y avait l’espace pour la musique. Du silence dont la musique pouvait s’emparer, des mensonges et des non-dits sur lesquels la musique allait pouvoir apporter sa subtilité, donner de la profondeur à des choses en apparence légère. Elle allait montrer toute l’épaisseur de cette rencontre. »

À la lecture du livret adapté par le compositeur, la confiance est totale. « J’ai vu à quel point c’était juste et logique. Patrick Burgan avait profondément compris l’œuvre. » Ce n’est pourtant qu’une dizaine d’années plus tard que l’opéra verra le jour aux yeux du public, alors que l’Opéra de Metz et l’Opéra de Montréal s’unissent pour le faire vivre sur scène. 

« Le compositeur s’était engagé seul, sans maison d’opéra derrière lui, ce qui est tout un acte de foi. Il n’a pas créé dans le confort de la commande, mais dans l’inconfort de la passion. Je suis pétri d’admiration et de respect face à lui. Bravo à Montréal et à Metz de donner vie à cette œuvre! »

C’est donc lors de sa création à l’Opéra-Théâtre de Metz, à l’automne 2022, que l’auteur découvre pour la première fois la version lyrique de son récit. « J’ai a-do-ré! Le raffinement harmonique et le raffinement des timbres s’inscrivent parfaitement dans la tradition de la musique française. L’orchestration est somptueuse. La musique déploie l’espace à la fois extérieur — une île perdue dans la mer de Norvège — et intérieur — la peur de vivre d’un écrivain qui vit retiré du monde. Le recours à un chœur féminin évoque la présence de la femme absente de magnifique façon. L’œuvre de Patrick Burgan est riche, sensible, intègre, émouvante et profonde. C’est absolument tout ce que j’aime. »

Sonder la complexité et la douleur de l’amour

C’est donc en plein cœur que le public montréalais devrait recevoir à son tour Enigma en avril. « Lorsqu’il s’agit d’œuvres contemporaines, on peut craindre qu’elles s’adressent d’abord à l’intellect, mais il s’agit ici d’un opéra qui parle à la sensibilité, au cœur et au corps. L’histoire est une authentique plongée dans la psyché humaine et dans la complexité des relations amoureuses. Grâce à Patrick Burgan, cette plongée se fait avec beaucoup d’intensité et de profondeur. »

Pour vous laisser entraîner dans cette intrigue psychologique portée par les voix d’Antoine Bélanger et Jean-Michel Richer, procurez-vous vos billets ici.

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